Étincelle : 2016, loi Travail

Je pars aujourd’hui d’un constat qui s’est révélé à moi au cours de ces derniers mois, pendant la campagne présidentielle française de 2017. En réfléchissant sur les événements de l’année passée, je me suis rendu compte d’une fracture béante entre la classe politique et la base citoyenne. Je suis jeune encore, mais il me semble que sous le quinquennat de François Hollande, les démonstrations de force du peuple ont été parmi les plus radicales et les répressions des forces de l’ordre de plus en plus violentes. En 2016, c’était particulièrement la loi Travail qui avait fait descendre des citoyens de Gauche dans la rue ; mais on peut aussi penser à la Manif Pour Tous au début du quinquennat. Ces deux exemples montrent que la fracture concerne réellement l’ensemble du peuple français. Je ne parle encore que des stigmates les plus violents, mais la thématique de l’anti-système développée tout au long de la campagne, en est un signe aussi fort.

Cette fracture témoigne pour moi de deux choses : d’une part, le peuple a complètement perdu l’écoute de ses élites qui se trouvent au pouvoir, et ceux-ci ont complètement abandonné l’idée de lui parler ; d’autre part nos « élites » manquent beaucoup trop d’imagination et de pragmatisme, et font montre d’un ego qui paralyse tout débat. Si j’osais faire une boutade, je dirais qu’ils sont typiquement français.

Je vais illustrer le premier point en revenant sur l’utilisation de l’article 49.3 de la constitution à plusieurs reprises par Manuel Valls. Ce 49.3 permet donc de passer une loi en force, sans demander l’assentiment de l’Assemblée Nationale. On pourrait bien se demander pourquoi les gouvernements n’utilisent pas en permanence ce moyen bien pratique pour décider de ce qui leur chante, ce à quoi on me répondrait qu’ils risqueraient une motion de censure, ce qui à mon avis n’arriverait qu’après de très nombreuses utilisations (Manuel Valls l’a utilisé 6 fois en quelques mois !), mais passons. Ce refus du dialogue de Manuel Valls avec les membres du Parlement représentant le peuple – dont beaucoup faisaient pourtant partie de la même aristocratie politique que lui ! - dans un contexte de protestation citoyenne, alors que l’année précédente avait déjà vu naître le mouvement résilient Nuit Debout contre cette même loi Travail, témoigne pour moi d’un jemenfoutisme éclatant. Résultat, l’intérêt des Français pour la politique est en berne. Il est possible alors que, ne se sentant encore écouté que par les masses militantes qui savent se renseigner un minimum ou répéter les argumentaires de parti, la classe politique ne se sente pas le besoin de réellement expliquer le fond des lois. On se dispute en interne, on lève des armées de militants dans les rues ou sur Internet, et on laisse M. et Mme Tout-le-monde regarder ça avec circonspection. Nos élites – et les médias aussi, dont ce serait pourtant un rôle majeur – ne parviennent pas à user de pédagogie afin d’expliquer les réels enjeux, les conséquences de telle et telle loi. Ou pire, malgré tous leurs efforts de pédagogie, ils se trompent de solution voire de problème et donc ne peuvent être approuvés par le peuple. D’où le dialogue de sourd entre des citoyens qui ne comprennent pas en quoi les réformes vont améliorer leur vie, et une classe politique qui ne comprend pas pourquoi le peuple n’est jamais satisfait des propositions faites.

Le second point – le manque d’imagination – est une conviction personnelle : étant scientifique de formation, je connais à la fois les impitoyables lois naturelles (physique, chimie, biologie…) qui ne peuvent en aucun cas être modifiées, et la multitude de stratégies différentes existantes dans la nature pour réaliser une même chose. Par exemple, prenons le cas de la nourriture : tous les êtres vivants ont comme particularité de devoir ingérer des molécules extérieures à elles-mêmes afin d’obtenir de l’énergie et de la matière qu’ils pourront transformer à leur profit. C’est une traduction abstraite de l’acte de se nourrir. Tout être vivant ne respectant pas cette loi finit par mourir prématurément. Cette loi simple et profondément ancrée en nous – dès notre premier cri – est impossible à mettre en défaut. On retrouve dans le règne vivant en revanche des milliers de stratégies différentes pour remplir cette fonction. Les végétaux utilisent leurs racines et leurs feuilles pour absorber les éléments du sol et de l’air. La mangrove peut « boire » de l’eau saumâtre, le cactus peut se contenter du peu d’eau du désert, des épineux condensent l’humidité saturée de l’air pour faire tomber les gouttes à leur pied, certains vont chercher l’eau plusieurs dizaines de mètres en profondeur, d’autres ne se développent qu’en surface… Puis les herbivores mangent ces végétaux, certains directement, d’autres en ruminant… Et d’autres animaux mangent ces herbivores – et donc chassent, chacun avec une stratégie différente : onde de choc pour la crevette-pistolet, pièges de soie pour les araignées, empoisonnement pour les serpents, course-poursuite pour les guépards, élevage pour la fourmi… On pourrait s’étaler encore longtemps pour montrer à quel point une loi simple peut entraîner des stratégies différentes pour y répondre. Là où je veux en venir, c’est que les lois de la Nature peuvent être assimilées à un système de valeurs d’une société : ce sont des principes que l’on veut respecter à tout prix. Les stratégies de survie correspondraient à nos lois. Il existe donc, c’est ma conviction, une multitude de façons de faire fonctionner une société humaine respectant des valeurs données. La diversité des cultures humaines d’avant la mondialisation justifie complètement cette assertion. Comment se fait-il alors que la politique récente ne soit articulée qu’autour de quelques principes, la plupart économiques ? Tous les problèmes sont réglés par de nouvelles normes et sanctions, lesquelles sont très souvent mal pensées et ont des effets secondaires injustifiés. Les solutions sont en général celles appliquées ailleurs à l’étranger. Il est très rare que le système politique propose plusieurs solutions, qu’il conviendrait de tester localement avant de pouvoir juger de la meilleure.

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