La climatisation au travail : le déni de rétroaction

Clim' ou crime ?

Le corps humain est une machine biothermique

Le métabolisme organique de notre corps peut être vu comme un moteur ou comme un processeur : toute activité des muscles ou du cerveau produit de la chaleur qui doit être évacuée.

Ce transfert de chaleur se réalise de 3 façons différentes : par rayonnement, par conduction vers l'air qui nous entoure, et par évapotranspiration. Lorsque notre environnement devient plus chaud, comme en période de canicule par exemple, les 2 premiers transferts peuvent être diminués : notre température étant régulée, nous émettons toujours autant de rayonnement thermique, mais les objets nous entourant étant plus chauds, ils rayonnent davantage vers nous. La balance finale diminue la quantité de chaleur que nous pouvons ainsi évacuer. La conduction se fait également moins bien lorsque l'écart de température avec l'air diminue, et peut même s'inverser si l'air ambiant devient plus chaud que nos 37°C régulés. Il ne reste alors plus qu'une seule solution à notre corps pour évacuer sa chaleur, c'est de la faire transiter par les gouttelettes de sueur (chaude), phénomène d'évacuation largement accentué si arrivé à la surface de la peau, l'eau peut en plus s'évaporer. Dans les régions tropicales, ce dernier phénomène est compromis par la forte humidité de l'air, qui freine le phénomène d'évaporation. C'est ce qui cause ce grand sentiment d'inconfort dans les régions chaudes et humides : l'incapacité à évacuer la chaleur de notre métabolisme et ainsi à réguler notre température interne.

Si jamais nous n'arrivons pas à évacuer la chaleur produite par nos muscles ou notre cerveau, notre température interne va augmenter et nous plonger dans un inconfort important, voire un état maladif (maux de têtes, vertiges, mollesse générale, fatigue...). Notre capacité à travailler (voire à vivre !) est donc fortement mise à mal par les épisodes caniculaires.

Le réchauffement climatique est dû à l'activité humaine

Je tiendrai ici pour admis le fait que le réchauffement global de la planète est dû en majeure partie à l'activité humaine. Cela ne fait plus débat parmi les climatologues. On peut ainsi dire que la somme de nos métabolismes, dont une bonne partie alimente des activités économiques, est responsable de l'augmentation de la fréquence et de l'intensité des canicules. Nos métabolismes n'en sont pas responsables directement, bien que nous soyons également des producteurs de CO2 lorsque nous respirons, mais plutôt parce que nos activités s'exercent dans un système économique d'échanges intensifs basé sur les énergies fossiles. En résumé, notre travail (issu de notre métabolisme) fait tourner une économie émettrice de GES, ce qui cause un réchauffement global et des périodes de fortes chaleurs.

La rétroaction de l'activité humaine

Parmi les nombreux effets induits par le réchauffement climatique, on trouve donc des étés plus chauds, des canicules plus fortes et plus fréquentes. La conséquence pour chaque individu devrait donc être une plus grande difficulté à évacuer la chaleur métabolique causée par son activité. Logiquement, nous devrions tous alors chercher à réduire notre activité pour produire le moins de chaleur possible.

Traditionnellement, cela a mené par exemple au développement de la sieste pendant les heures chaudes dans les cultures méridionales, et à un décalage de l'activité vers les heures du soir. Cette baisse d'activité devrait logiquement entraîner une baisse des émissions de GES : moins de production, moins de transport, moins de consommation d'hydrocarbures... moins de réchauffement climatique ! On observe ici une boucle de rétroaction négative du système Terre+Humains : plus d'activité humaine -> plus de GES -> canicules -> moins d'activité humaine.

Bien sûr, cette vision simpliste est plus une réflexion philosophique que rigoureusement scientifique. L'inertie du système, les nombreuses autres interactions, les stratégies passives de refroidissement... rendent le modèle beaucoup plus compliqué mais enfin, l'essentiel est là : physiquement, biologiquement, notre activité devrait être régulée, et les phénomènes de canicule font partie de cette boucle de rétroaction. On pourrait également citer la diminution de la concentration en oxygène dans l'atmosphère à cause de la disparition du phytoplancton, causée par le réchauffement climatique...

Les épisodes caniculaires, en contraignant notre métabolisme, devraient réduire notre activité

La climatisation transforme la rétroaction en une fuite en avant

Or qu'observe-t-on aujourd'hui, partout dans le monde, lorsque de fortes chaleurs se déclarent ? D'une part certes, une adaptation voire une réduction des activités qui ont lieu en extérieur comme les chantiers, les travaux des champs, le sport (et encore, les stades du Qatar sont une exception), etc. Et d'autre part, une progression forte de la climatisation pour les activités qui ont lieu à l'intérieur (et dans les stades au Qatar). Parfois même dans des conditions ubuesques : quoi de plus énergivore que de refroidir une tour de verre ouverte à tous les soleils ? Quoi de plus pernicieux que de laisser ouvertes les portes des commerces climatisés, afin d'achalander le client en recherche de fraîcheur, alors qu'un tel comportement fait exploser les consommations de la climatisation ?

Mais le pire reste tout simplement qu'en agissant ainsi, on transforme la boucle de rétroaction négative en boucle de rétroaction positive : au lieu de réduire notre activité, celle-ci se maintient, et notre consommation énergétique augmente... tout en rendant encore plus invivable les extérieurs (la chaleur rejetée par la climatisation dans l'environnement peut augmenter de plusieurs degrés la température des centre-villes). Sans compter qu'aujourd'hui, les fluides frigorigènes utilisés dans les unités de climatisation ont un PRG de 1000 à 2000. Les fuites ou les fins de vie sont tellement mal gérées que leur impact est loin d'être négligeable. Par exemple, le projet Drawdown qui quantifie et classe les impacts des solutions contre le changement climatique, considère que la première mesure à mettre en place, celle avec le plus d'impact (-89,74 Gt CO2), est la maîtrise des émissions de fluides frigorigènes.

La climatisation supprime l'effet des fortes chaleurs sur notre métabolisme, et augmente les émissions de GES

Le congé caniculaire comme réponse de bon sens

Ainsi, l'utilisation de climatisation sur les lieux de travail (et les stades au Qatar) est un réel déni de rétroaction naturelle, qui nous pousse à jouer avec le feu climatique ! Plutôt que d'installer des climatiseurs à tout va, les entreprises devraient chercher de nouvelles stratégies de lutte contre les grosses chaleurs, à commencer par le congé caniculaire (ou Hitzefrei en Allemagne). Comme vu plus haut, la réduction de notre activité est la ré(tro)action "naturelle" au réchauffement climatique. C'est également, du point de vue de la permaculture, l'application du principe "accepte les rétroactions". Le congé caniculaire permet non seulement d'éviter les émissions dues à la climatisation, mais également à l'activité économique non générée.

Socialement, c'est aussi une bonne mesure car les actifs libérés pourront prendre soin de leurs proches (enfants et personnes agées) au moment où ils en ont le plus besoin, évitant par là même un engorgement des services d'urgence.

Sanitairement, on observera sûrement une réduction drastique des déplacements en véhicules thermiques dans les métropoles, ce qui nous évitera de nombreux pics de pollution.

Cela permettra aussi peut-être de prendre le temps de réfléchir et de prendre du recul sur la gravité de notre situation.

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